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11 mars 2011 : témoignages d'expatriés

Une semaine après, retour sur les événements
Carole, 25 ans, est une Française travaillant à Tokyo depuis 2009. Contactée par téléphone une semaine après les catastrophes du 11 mars, elle revient avec recul sur ces événements. Voici quelques extraits de son témoignage (environ une minute par extrait).

Le séisme à Tokyo

S'informer pendant la catastrophe

Ici la France

Réactions françaises et japonaises

Un mois après : « Il y a encore des secousses en permanence »
Interview réalisée le 11 avril 2011

Régis Lamy vit au Japon depuis près de quinze ans. Conseiller pour le Centre Franco-Japonais de Management (CFJM), département de l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Rennes, il se trouvait à Tokyo lors des catastrophes du 11 mars. Joint par téléphone, il nous raconte où en est la situation sur place.

 

Au sein du master « administration des entreprises » parcours Centre Franco-Japonais de Management, vos étudiants effectuent leur seconde année au Japon, avec un semestre en école de langue ou en université puis un semestre de stage… Y a-t-il eu des bouleversements cette année du fait des événements ?

Rennes est une ville jumelée avec Sendai et chaque année, nos cinq meilleurs étudiants partent pour l’Université de Tohoku (située à Sendai, NDLR). On a eu la chance de ne plus avoir aucun étudiant sur place le 11 mars, car les cours se finissent la première semaine du mois, et donc tout le monde était soit en vacances à Tokyo, soit dans le sud, ou en France… Mon rôle, moi, c’est de coordonner les stages: cette année, nous avions douze stages de pourvus sur quinze, mais hélas, vu la situation, toutes les entreprises japonaises ont décidé d’annuler. Et comme l’Université de Rennes ne peut pas non plus courir le risque d’envoyer des gens là-bas, les étudiants vont devoir faire des stages en France dans des filiales d’entreprises japonaises ou ailleurs en Asie. C’est un cas inédit, alors que ce programme existe depuis 1992…

 

Nous sommes aujourd’hui le 12 avril… soit un jour et un mois après ce séisme de magnitude 8,9 et ce tsunami qui ont ravagèrent le nord-est du pays. Après les angoisses liées à l’accident nucléaire de Fukushima, assiste-t-on enfin à un retour à la normale ?

Concernant la centrale, j’aurais certainement préféré un système à la française que celui-ci, qui confie la sureté nucléaire à une boite privée. Les forces japonaises ne sont arrivées qu’au bout de trois jours, quand elles se sont rendu compte que Tepco ne contrôlait rien et qu’il fallait intervenir. Aujourd’hui, heureusement, les risques sont moindres… Mais il y a encore des secousses en permanence. Je dirais qu’il y en a deux grosses par jour, avec quelques petites entre temps. Quand je me couche, ça tremble, la nuit ça tremble, et quand je me lève le matin ça tremble également. C’est très épuisant nerveusement. Au travail, on a beaucoup de mal à se concentrer. A chaque fois, cela peut avoir des conséquences, l’arrêt des trains par exemple. Je suis arrivé dans le pays en 1997, mais il ne me semble pas qu’il y avait eu autant de répliques pour le tremblement de terre de Kobe. Toutes ces secousses se rapprochent de Tokyo, commencent à entourer la ville… J’espère que ça n’est pas annonciateur d’une nouvelle catastrophe qui toucherait la capitale.

 

Contrairement à beaucoup de Français, vous avez vous fait le choix de ne pas du tout quitter le pays… Qu’est-ce qui a justifié cette décision ?

Vous savez, ça fait bientôt faire 15 ans que je vis ici, et je suis avec mon épouse Japonaise depuis sept ans. Comme elle est pharmacienne, elle a été d’astreinte après les événements. J’avais le choix de partir seul mais je ne l’ai pas fait, je préfère me trouver auprès de l’être aimé, de la personne chère même en cas de pire scénario. Ceux qui sont parti ont bien fait, chacun réagit à sa manière. Si je n’avais pas mes attaches locales, je pense que je serais rentré aussi en Bretagne. J’ai honte de le dire, mais avec ces secousses à répétition, la situation ici est vraiment usante.

Les Japonais ont bien moins paniqué que nous dans l’histoire, alors qu’ils étaient directement concernés…

Je pense connaître un peu la façon de penser des Japonais, après 15 ans : c’est un peuple assez stoïc et fataliste.. Mais je veux pas tenter de jugement de valeur… Bien sûr, ils ont eu peur comme tout le monde, mais vous voulez les voir partir où ? On ne va pas réfugier tout le monde à Okinawa malgré la menace nucléaire.  C’est aussi comme si Honshu, l’île principale, s’était scindée en deux : le nord-est sinistré et le sud-ouest : j’ai des contacts dans l’ouest avec qui j’ai eu l’occasion de discuter, et pour eux, au nord-est de Tokyo, c’est aujourd’hui carrément un autre monde.

A Tokyo, c’est un peu particulier, ça a toujours été un peu impersonnel. Les Tokyoïtes viennent de partout, ont leur quotidien… Ce matin, nous avons eu une grosse secousse et les trains se sont arrêtés, mais les gens s’habituent. Il y a moins d’éclairage, mais les trains parviennent à fonctionner. Nous avons simplement eu quelques problèmes de ravitaillement dans les magasins pendant une dizaine de jours, notamment pour l’eau.

Mais rien de comparable avec ce qui se passe dans le nord-est du pays…

Ce qui est bien, c’est que les initiatives se multiplient : par exemple, l’Amicale des cuisiniers et pâtissiers Français au Japon a organisé une caravane avec, chaque jour, une expédition aller-retour à la journée et un chef différent qui préparait un plat chaud. La semaine dernière, j’ai pu participer à une de ces opérations de bénévolat : nous sommes allés voir deux camps de réfugiés à Moriyama : c’est à 50 kilomètres de Fukushima et il y avait surtout des familles d’employés de Tepco, vivant à 5-10 kilomètres de la centrale. Nous venions pour distribuer des repas chauds mais également des jouets aux enfants. Les gens là-bas vivent dans des gymnases, dorment dans des cartons… Même si beaucoup d’images sont diffusées à la télévision, c’est vraiment frappant de voir ça en vrai…

Les adultes étaient très silencieux, paraissaient un peu abattus. Ce qu’il y a de frappant, c’est que les réfugiés se compartimentent, se parquent, ne se parlent pas : ce n’est pas un peuple très communicatif, ils intériorisent tout. On ressent beaucoup de résignation et d’humilité chez eux. Quant aux enfants, ils sont restés plein de vie, et leur apporter des jouets c’était leur redonner le sourire, c’était très émouvant. Ces enfants sont l’avenir de ces régions sinistrées, il faut vraiment que ça marche pour eux.

 

Combien de temps cette situation est-elle susceptible de durer ? Quelques semaines, quelques mois, davantage encore ?

Les Japonais sont forts pour reconstruire : ils ont cette résilience, cette détermination à ne pas s’effondrer, à ne pas baisser les bras… En 1933 s’est produit un énorme tremblement de terre dans cette même préfecture de Miyagi, suivi par un tsunami, mais les gens se sont relevés et ont tout reconstruit. Je salue vraiment la coriacité des Japonais. Actuellement, ils remettent le courant électrique en priorité. Des fonds, je pense qu’il y en aura, le Japon n’est pas un pays démuni, mais tout va dépendre de la capacité à se coordonner, de l’acceptation des gouvernements de préfecture des décisions du gouvernement central aussi… Cela peut prendre du temps.

Le pire, ce sont ces gens qui habitaient autour de la centrale, qui n’ont aucune visibilité sur un retour éventuel à la maison… Il n’y a même pas moyen de s’approcher de certaines zones pour rechercher les disparus. Il faut savoir que les Japonais sont très attachés à leur village natal : dans cette région, c’est très rural, côtier, il y a des générations de Japonais qui ont toujours vécu là, beaucoup de personnes âgées… Leur dire du jour au lendemain de s’installer ailleurs, ce n’est pas si évident.

 

Le gouvernement et les médias japonais ont, depuis l'étranger, parfois été critiqués pour leur passivité. Est-ce un avis que vous partagez ?

Cela a peut-être été le cas au début, mais de toute façon il ne fallait pas effrayer la population… Il y a quand même près de 35 millions d’habitants dans l’agglomération de Tokyo, ça n’est pas rien. Et puis, ça reste assez loin de Fukushima, c’est à 300 kilomètres, il faut 4 heures en voiture pour y aller… Non, je pense qu’on a été correctement informé. Il y a eu un peu de panique chez certains, une euphorie collective. Beaucoup de Français ont cédé à la panique et ont fui, alors que l’ambassadeur n’a jamais ordonné l’évacuation… Personnellement, j’ai trouvé que le gouvernement actuel était présent, disponible, beaucoup plus que le président de Tepco par exemple… La NHK nous tenait informés à la minute près. Et il y avait des articles d’instituts de surveillance indépendants confirmant les chiffres de Tepco, donc je ne crois pas qu’on nous ait menti.

Concernant les journaux français, j’ai quand même trouvé qu’ils en faisait un peu trop. Faire du sensationnel, c’est bien, mais c’était un peu alarmiste. En fait, le plus dur de la crise c’était non pas de vivre dans l’angoisse ici mais d’essayer de calmer amis, famille, qui essayaient de vous joindre jour et nuit… Je ne pouvais pas non plus couper le téléphone, car il y avait quand même cette menace nucléaire qui planait. Tout cela a été épuisant physiquement, on ne pouvait pas vraiment dormir…

 

Propos recueillis par Amaury Baradon

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